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Si tous vos actes, toutes vos émotions,
toutes vos aspirations, tous vos souhaits se retrouvaient conjugués
en un seul moment ? Ce condensé deviendrait-il le summum
de votre existence ? Parviendriez-vous à gérer une
telle situation ou seriez-vous effondrés ? Si on vous demandait
de décrire ce moment crucial, en seriez-vous capable ?
Jason Lytle, auteur résidant à Modesto, membre du
groupe californien Grandaddy, cherche les mots justes tout en
faisant tourner son Bourbon dans le verre pour faire fondre la
glace. Et il a plus de difficultés que dhabitude
à les trouver, car Sumday, le quatrième
album de Grandaddy, est sa réponse : un nouveau chef duvre
autour de limportance de ce genre de questionnement à
mi-parcours dans sa vie.
« Jai le sentiment que nous sommes en quelque sorte
arrivés, que tout ce que jai fait ma emmené
à ce disque, » finit-il par déclarer avec
un mélange de modestie et fierté. « Cet album
est le reflet de tout ce que nous avons entrepris. Pour moi, dans
ma tête cest un aboutissement. »
« Nous sommes parvenus à conjuguer et peaufiner nos
idées au-delà de nos espérances, »
explique le guitariste Jim Fairchild. « Un processus de
stratification sest produit au sein du groupe. Mais après
un tel bond en avant, on se sent mal à laise pour
la suite, on se demande ce que lon va bien pouvoir faire
sans risquer de se répéter. »
Les musiciens rock qui se sentent mal à laise en
roue libre méritent un certain respect. On imagine aisément
que dautres groupes se complairaient dans la position actuelle
de Grandaddy qui vient à peine de finir lalbum
le plus achevé de sa carrière dans la foulée
dun Sophtware Slump qui a fait lunanimité
en 2000. |
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Pourtant lorsque
lon a grandi dans une communauté où le travail
est rythmé par les saisons et où la condition dartiste
nest pas considérée comme un acquis, tout
sentiment dauto-satisfaction peut vite être synonyme
de stagnation. Mais à écouter Fairchild et Lytle
évoquer ce tournant dans leur carrière, on sent
bien quils sont loin denvisager les choses ainsi.
« Le fait dêtre créatif doit être
envisager de la même manière que lacte de créer,
» déclare Fairchild. « En étant toujours
sur le qui-vive. Il faut être prêt à capter
et réceptionner nimporte quelles fréquences
qui vous passent par la tête et ensuite essayer de les mettre
en uvre. Je crois que cela résume bien ce que nous
nous sommes efforcés de faire. Nous avons appris à
mieux tenir compte de ces idées et à essayer de
les réaliser. »
Peut-être que pour mûrir, un artiste doit passer par-là.
Prendre conscience de limportance de chaque étape
dans lensemble dun projet et éviter davoir
des regrets ou se demander à quoi bon ?. Cela
fait indéniablement partie de son développement.
Les
membres de Grandaddy ont tous grandi à Modesto
ou ses environs, une ville agricole du centre de la Californie.
Enfant, Lytle trouve refuge dans les Beatles et les Pink
Floyd, quil écoute avec un casque dans le
salon (de là viendra certainement son goût
du détail dans les mosaïques sonores, à
la Jeff Lynne ou Alan Parsons), et le skate-board, qui
lamènera adolescent à partir pour
le Sud de la Californie. Après sêtre
blessé au genou dans une compétition, Lytle
est rapatrié à Modesto où, comme
il le dit lui-même, il fait depuis pénitence
en créant une musique sur les péripéties
et les échecs de ses habitants. Sa fascination
pour la manière dont les gens ordinaires créent
lart de la vie ne sest jamais tari
il consulte leurs biographies à la bibliothèque
locale, préfère leurs expositions à
celles des grands artistes. « Cest une forme
dart qui ne cesse de senrichir, qui reste
accessible, tout en partant dans une autre direction,
toujours plus loin. » |
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Les autres membres de Grandaddy
à savoir le bassiste Kevin Garcia et le batteur Aaron Burtch,
auxquels Fairchild et le clavier Tim Dryden se sont joints en
1995 ont aussi une bonne connaissance de leur environnement.
Cest dailleurs ce qui les a réunis. Cest
effectivement à Modesto que Howe Gelb de Giant Sand est
tombé sur ce groupe alors en train détudier
la fracture de la société américaine. Cest
à Modesto que le groupe est passé du lo-fi A
Pretty Mess By This One Band, dans la veine de Pavement,
sorti en 1996, à lunivers étrange de Under
the Western Freeway en 1997 et au désespoir futuriste
évoqué dans Sophtware Slump en 2000.
Cest la terre sur laquelle ils ont grandi, qui a fait deux
ce quils sont et qui les a poussé à faire
ce quils font. Grandaddy est indissociable de Modesto, cet
environnement naturel dans lequel sest forgé le groupe
qui constitue : « un processus auto-propulseur de créativité»
pour reprendre les termes de Fairchild.
Deux ans et demi après The Software Slump,
qui a enthousiasmé la critique, Grandaddy revient avec
Sumday. Concocté dans une petite maison de
banlieue achetée par Lytle « la réalisation
dun rêve, un peu flippant, davoir une maison
comme les autres en banlieue, qui soit totalement insonorisée
et conçue comme un studio denregistrement »
- après un processus bien huilé de rassemblement
didées, daccords, de mélodies et de
mots « sans intention précise et, au bout dun
moment, avec un objectif. Une fois quon avait réalisé
la moitié de lalbum, je savais dans quelle direction
aller ». Cette intuition chez Lytle évoque Wayne
Coyne des Flaming Lips et Mark Linkous de Sparklehorse, des types
que lon peut considérer comme les grands auteurs
de la scène rock américaine.
« Avant tout, [Sumday évoque] le problème
de savoir si on va arriver à se démerder ou pas,
» explique Lytle, à fond dans le personnage du chanteur
de rock qui ne mâche pas ses mots, en sirotant son bourbon.
« Un peu comme la chanson de Neil Young : Why Do I
Keep Fucking Up ?. Cest se poser la question de savoir
combien de tours il nous reste à jouer ? Vais-je un jour
devenir adulte ? Est-ce quun jour je vais men sortir
? ». A linstar de la musique de Grandaddy, ces questions
restent ouvertes. Mais dans ce bas monde, le simple fait de se
les poser constitue déjà un grand pas vers la découverte
de soi, et ceux qui ne font pas cette démarche, sont embarqués
dans une quête dangereuse dont la plupart des Américains
ont depuis longtemps perdu le fil.
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«
Tout le monde vit dans un putain de monde imaginaire,
» déclare Lytle en montrant le poste de télévision
et la vue de sa fenêtre. « Les gens vivent
dans ce monde imaginaire fait dillusions suggérées
par la télévision. Mais moi je ne viens
pas de là. Tous les jours je me réveille
en me sentant coupable de faire partie dun groupe
et de ne pas exercer un métier que je déteste.
»
En fait ce côté soudé entre les membres
de Grandaddy, qui est leur moteur, les démarque
du milieu dont ils sont issus. « Nous ne sommes
pas les seuls à Modesto à avoir ce genre
didées ou de sentiments, » déclare
Fairchild. « Mais il faut une certaine détermination
pour les mettre en uvre, il faut être entouré.
Nos impulsions créatrices sont très liées
aux raisons dêtre de ce groupe, qui constitue
en fait un environnement propice à leur émergence
et leur développement. »
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Si dans cet album Grandaddy sinterroge sur le sens de la
vie, Lytle tenait aussi à ce que Sumday soit
un message despoir pour les autres. « Pour moi, il
a toujours été important de faire des chansons qui
parlent aux autres et [cette fois-ci] il était primordial
que nos textes soient vraiment compréhensibles pour les
autres. »
Sumday est un album qui ne manquera pas de séduire
les radios par son côté rock & roll fédérateur
tout en regorgeant de détails que les amateurs pourront
amplement apprécier avec un casque sur les oreilles. De
« Now Its On » qui ouvre cet opus avec brio
et force métaphores, jusquà lépique
« The Final Push To The Sum » qui conclut le débat
sur la vieillesse avec une grande interrogation (que suis-je
devenu ?), Grandaddy a réussi à évoquer
avec talent la crise de la quarantaine (du grecque krisis, qui
signifie décision et perspective) sans éluder certaines
craintes, ni sapitoyer lourdement.
En réponse à la question du début, même
si Dieu sait ce que cela signifie pour Grandaddy ou pour Lytle,
qui na désormais plus une goutte de Bourbon dans
son verre : « Je nai pas la moindre idée maintenant.
Je narrive même pas me limaginer, » un
peu comme quelquun qui aurait bien profité de sa
vie.
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